Avant que ne s’éteignent les étoiles

 

« Ah ! Meriem, ma petite rose des sables. Quelle femme, quelle épouse, quelle chance ! J’ai été heureux près d’elle, de ce bonheur humble et pudique, frais comme l’air qu’on respire le matin en ouvrant la fenêtre. Je l’aimée de cet amour simple qui dure parce que ordinaire, que l’on cultive graine après graine, avec patience et retenue ; l’amour des petits gens, qui n’exige pas grand-chose et qu’un zeste de bienveillance et un profond respect rendent aussi grand que la Foi. C’était notre Amour, à Meriem et à moi, notre refuge et notre combat, fait de bouts de tendresse et de quelques éclats de rire, sobre afin que la vie soit ce qu’il nous arrive et non pas ce que nous fuyons ».

Nous nous sommes, encore une fois, rencontrés après de longues années d’absence et je puis vous le dire, je ne me suis jamais résolu à la remplacer.

« Comment remplacer les absents sans les trahir et sans renier la personne que l’on a été ? Comment les oublier lorsque que le cœur ne bat que grâce à leurs souvenirs ? J’ai essayé de regarder devant moi mais je n’ai vu que du vide ». Rien que le Néant sidéral. « On peut faire le deuil de ses morts, mais pas celui des absents. De tous les mortels, ce sont les disparus qui vivent le plus longtemps. Mais comment entretenir leur souvenir dans ce passé où il faudrait écarter mille masques pour entrevoir un visage familier, où les sourires ressemblent à mes blessures, où les rires sont chahutés par mes propres cris ? A l’usure on finit par se faire une raison. On se recroqueville autour sa douleur et on faire corps avec. Au fur et à mesure que les années passent, la résignation nous devient un précieux animal de compagnie. Dans les moments de grande solitude, elle nous tient la main tandis que tant de choses nous échappent, et on s’accroche parce que, quelque part, au fond de soi, malgré l’incongruité de notre entêtement, on se surprend à se dire qu’un miracle est toujours possible… ».

« Ainsi va la vie. Tantôt rivière chantante, tantôt crue déchainée, elle charrie ses mortels au même titre que le limon, les arbres que l’on croyait indétrônables ou le cadavre d’une bête qui se serait noyée. Elle n’a pas d’état d’âme, la vie ; elle n’est coupable de rien. Elle coule dans le lit du temps sans s’attarder sur le gâchis qu’elle engendre ni sur les belles plaines qu’elle irrigue. C’est à chacun de s’accommoder de ce qu’elle lui concède ».

Ma vie, « J’ai choisi de (la) finir (…) à Kenadsa, auprès de ma rose des sables. Les gens du Ksar millénaire sont des êtres de lumière et de charité fraternelle. Je ne pouvais espérer meilleure retraite que leur sagesse, ni plus belle oasis que les yeux de Meriem ». Au crépuscule de cette vie évanescente je constate et observe que « L’honnêteté se paie très cher mais elle finit par payer. Comme la patience, la foi dans ce qui est juste, le sacrifice et le don de soi. Quant aux torts que l’on commet, ils n’échapperont pas au retour de de flamme, eux non plus. Hélas, on ne prend conscience de l’inconsistance de nos certitudes que lorsqu’arrive la nuit du grand voyage ».

Au crépuscule de cette pitoyable vie, « Cette nuit-là, on se retrouve seule face à soi-même et on se demande pourquoi tant de gâchis alors qu’une simple présence d’esprit aurait pu l’éviter. Jusqu’ à notre dernier soupir, nous essaierons de nous persuader que ce qui dépasse notre volonté nous absout de nos errements, puis nous nous apercevons que notre histoire, quand bien même elle nous tiendrait pour responsable de ce que nous déplorons, ne justifie pas grand-chose. Maitres ou valets, sous les feux de la rampe ou en coulisses, exaltés ou bien sans convictions, nous aurons tous, sans distinction, traversé en coup de vent un rêve aussi fugace qu’impénétrable sur cette planète ».

« Je reste persuadé qu’avec le recul et un minimum de discernement, on apprendra à reconsidérer les choses. Les souvenirs, alors, s’assagiront et mettront du baume sur les blessures. Ce que nous avons fui notre existence entière nous rattrapera, et nous cesserons d’avoir peur de notre finitude. Le vœu pieux – ce timide frère utérin de la prière sera exaucé, la réponse sera révélée ; ce qui n’a été que leurres et fausseté abdiquera devant cette sainte vérité ; le sirocco peut toujours dégarnir les rochers cathédrales, la tempête de sable malmener la barkhane, l’ouragan démonter les mers, tout finira par s’épuiser afin que s’opère l’accalmie définitive » !

« Ainsi est notre destinée. Nous sommes là, fantômes grisés en avance sur leur heure, puis nous disparaissons, et personne ne sait ce que l’on retiendra de nous. Que l’on marche sur l’eau ou que l’on perde pied au passage à gué, nous ne sommes que des illusions qu’époussettera le souffle de ce qui ne sera jamais plus ».

« Je lisse mas barbe, m’adosse au mur, ferme les yeux comme on pose le couvercle sur le puits des secrets et pense uniquement à ceux que je chéris, aux matins qui éclosent comme des fleurs emperlées de rosée, à la brise furetant dans le tamaris et aux soirs étoiles, aux enfants  qui gambadent sur les dunes, ivres d’insouciance et d’énergie, à la théière garnie de menthe fraiche entrain de tintinnabuler au pieds du palmier, aux sourires sur les visages placides et aux mains tendues » .

Ma certitude ? « Rien n’est plus sain que se sentir en harmonie avec les éléments et rien n’est plus précieux que les petits bonheurs ordinaires que l’on partage avec les proches et les amis ».



Extraits/Résumé du livre de Yasmina Khadra- Les vertueux.