En nous tu vivras.

C'était une belle journée pour partir. Il faisait très beau, en ce jour du mois de Novembre 2017, un temps qui n’existe nul par ailleurs qu’en Algérie, terre des contrastes et des beautés tragiques. Au chevet de ta sépulture je me posais cette question pour laquelle, je le savais, il n’y avait aucune réponse. Que pouvais-je faire cher Ami et frère ? Rien, sinon que d’accepter la destinée qui t’a ravi aux tiens alors que tu pouvais encore donner à ce pays que tu as aimé à ta manière, à la manière des humbles de Médéa.Tu étais, et j’en pleure de te citer au passé, de cette génération, la notre, celle de l’indépendance, qui a aspiré à contribuer au développement de ce Monde rural dont nous étions, dans le sillage de nos grands maitres à penser (Mr. Youcef Sebti, Mr. Chelig Rabah, Mme Claudine Chaulet, Mr. Abdelguerfi Aissa, Mme Bounaga, Mr. Slimane Bedrani, Mr. Malki Mustapha…etc.), si fascinés. Il fallait le faire avec ta fougue légendaire, ta sérénité olympienne et ta gentillesse ainsi que ta modestie à la limite de l’effacement. Tu étais un « Développeur » né et un « Écouteur » des pulsions de la société rurale avec ce que cela impliquait comme engagement pour des campagnes et un développement agricole Humanisés.

Tu étais de toutes les parties et de toutes les initiatives, écumant les plaines de la Mitidja et du Chélif, les vallées du M’Zab et du Gourara, les plateaux de Ain Sefra et de M’Sila ainsi que les montagnes de Kabylie et de Souk Ahras. Du mouvement associatif, à l’économie des filières, des femmes rurales aux petites exploitations agricoles, des petits élevages aux semences fourragères paysannes en passant par les abeilles sahariennes, tu aimais aller au devant des petites communautés rurales pour y semer le Futur comme tu le disais si bien.
 
Ton ultime escapade a été de t’impliquer dans le lancement du projet de construction des chaines de valeurs dans les pays du NENA en faveur des petits agriculteurs, des pêcheurs et des éleveurs du Soudan, de la Palestine et de Djibouti (Projet FIDA). Tu jubilais à l’idée de replonger dans cette aventure d’appui aux ménages ruraux, à la simple idée de travailler au bénéfice de ces nouvelles communautés si éloignées de nos contrées.
 
Tu étais en fait un bâtisseur d’institutions, tâche pour laquelle tu t’es dévoué en tant qu’économiste à travers les multiples programmes de développement et de « fiches techniques » qu’il fallait déployer pour créer du néant des choses utiles, comme tu aimais à les qualifier, pour la société et pour le pays.
Tu étais cette personne, à l’élégance innée, digne fils de la Casbah, dont nous partagions les origines, à l’éloquence proverbiale qui me rappelait les anciens à l’image de Mouloud Mammeri et de Rachid Mimouni. Tu faisais, chez tes interlocuteurs, la chasse aux fautes d’expression et d’orthographe. Tu le faisais par Amour pour les belles lettres mais toujours avec Amour et respect pour ton prochain. Mais, aussi paradoxale que cela puisse paraitre, tu n’aimais pas beaucoup l’écriture, pas plus que les publications. Tu étais dans l’action et dans le développement, dans le quotidien des projets menés selon l’inspiration de l’instant.
 
Non, décidément, tu n’aimais ni l’écriture ni les titres honorifiques. Tu étais parmi cette race d’agronomes si rares de nos jours, un « Développeur », un bâtisseur de rêves, les rêves de milliers de petits agriculteurs et agricultrices producteurs du « Pain » de l’Honneur et de la dignité.
Tu as été l’Homme honnête et intègre qui a su élever ses deux enfants avec le labeur et la sueur, sans céder à l’appelle des sirènes de la captation de la rente. Tu vivais modestement et avec Honneur à l’image des grands de ce Monde. En cela tu étais, même au sein de ta famille un « Développeur » pour lequel tout se construisait dans la durée, la passion et la patience.
 
Même dans l’adversité, avec la «Terreur» vécue dans les années 90 et les comportements des « Voyous- casseurs» promus responsables et Directeurs pour « Casser du Cadre » et établir le règne du « béniouiouisme », tu étais égal à Toi même: Une force tranquille en dépit de ta fragilité sociale qui était, en fait, celle de toute une génération qui avait cru en ce pays, notre pays.
Durant le quart de siècle que j’ai eu à passer avec toi j’aimais, en ta personne, ce mélange subtile de la bonté et de la beauté du geste des humbles de la Casbah, d’austérité et du sens de la Mesure des anciens ainsi que du raffinement des gens pétris d’une grande Culture Humaine.

Tu étais de ces personnes qui, en dépit de l’adversité et des malheurs qui se sont abattus sur les nôtres, les gens de notre génération, savait se maintenir droit et rester digne. Qui se souvient des Redjel (HCDS), des Salem Bensalem (CEVITAL), des Lamrani (MADR) et des Balamane (ONAB) et de bien d’autres que ma Mémoire n’arrive plus à citer tant ils sont nombreux et nombreuses ?
Ils n’étaient ni Ministres, ni députés, ni hommes politiques notables. Ils étaient des anonymes, emportés à la force de l’Age, ces milliers d’anonymes qui, chaque jours que Dieu faisait, se levaient et oeuvraient à donner corps et sens aux rêves des « Petits gens » de la Terre, notre Terre bien à nous. Ils étaient, au même titre que toi mon Ami, les bâtisseurs de l’Espoir.
Avec toi, mon Ami Djamel, c’est toute une génération de cadres et d’ingénieurs agronomes qui commence à tirer précocement leur révérence pour rejoindre les étoiles. Trahis, brimés, bridés et poussés vers tous les exiles, leurs cÅ“urs ne supportaient plus de se voir infliger toutes ces violences symboliques et morales.

Va, Djamel. Repose en paix sur ton Etoile et prie pour nous. Prie pour que l’on puisse avoir l’insigne bonheur de te rejoindre, un jour, par une de ces belles journées ensoleillée similaire à celle du 8 Novembre 2017. Repose dans la bonté et la beauté de Dieu qui a fait naitre le jour même de ton départ un nouveau né chez une de tes sÅ“urs : il s’appellera Djamel.
Dans nos coeurs et à travers le regard pétillant de ces millions de petits enfants de cette belle Algérie, notre Algérie bien à nous, tu vivras, éternellement.
 
Ton inconsolable Ami