Nedjma, l'étoile secrète

« Nedjma ». Oui, c’est ainsi que je te surnommais.

« Nedjma» appartenait à Kateb Yacine que j’avais rencontré à l’époque bénie où nous préparions des rencontres d’intellectuels avec les étudiants de l’INA et de l’USTHB. Je faisais partie de la meute des étudiants enthousiastes qui voulaient refaire un monde devenu moche à leurs yeux.

Je me rappelle de la rencontre au centre de repos de Ben Aknoun en 1985. L’Homme que j’avais en face de moi était un « géant », un monument de la littérature mondiale. Pourtant, il me parlait comme si j’étais son égal, la célébrité et l’Age en moins ! Je crois avoir été frappé ce jour-là par tant d’humilité qui reste le propre des grands et des grandes de ce monde A ces côtés, il y avait son fils « Amazigh» (1) et son ombre fidèle, l’ami de tous les jours, karim le chanteur du groupe révolutionnaire « Debza ».

Avant de connaître Kateb, je ne connaissais de « Nedjma » que le fameux roman que je n’ai d'ailleurs lu qu’après son décès survenu en 1989. Le décès et l’enterrement de Kateb ont coïncidé avec le jour du tremblement de terre des monts de Chenoua. Prémonitoire !
C’est la lecture de «  Kateb Yacine : Œuvres en fragments », livre de Jacqueline Arnaud, une universitaire amie de Kateb, qui m’a permis de rencontrer « Nedjma ». Mais c’est sans aucun doute le jour du passage à la télévision du court métrage de Kamel Dehane, « Kateb Yacine : l’Amour et la révolution » que « Nedjma » est rentrée dans ma vie. C’est ce jour-là que tout a basculé.

« Nedjma » c’était tout l’univers de Kateb. Le pays ensanglanté, la destinée tragique de toute une génération, la femme aimée, la mère, l’Amour impossible, la folie (de sa mère) en sus. « Nedjma » c’était la quête de soi, la réappropriation du « moi », un désir de retour à la quiétude des années de bonheur et à la terre si généreuse, mais si rude, des ancêtres. « Nedjma » c’est aussi une quête à ce jour inassouvi de la bonté et de la beauté des gens simples. Ceux de la terre. « Nedjma » c’était une recherche d’Amour en plein nuit coloniale (2). « Nedjma » c’était un nouveau regard porté vers la vie en plein désespoir. L’élan vers le bonheur d’être. La liberté d’être avec le monde. En finir avec les malheurs et les larmes. Un désir de réparation après tant de souffrances et d’accablement !
C’était la « Nedjma » de Kateb. Le mythe fondateur de l’Algérie indissociable de la femme que Kateb a aimé.

Je ne connaissais pas cette « Nedjma », je ne l’ai jamais vu, ni rencontré. Mais je l’aimais car elle était aimable et représentait tout ce que j’aimais sur cette terre et ce pays. Elle représentait, pour moi, tout ce qui était beau, tout ce qu’une certaine « réalité » s’évertuait à nous refuser. Elle était des nôtres. Mais avec le temps, je me rendais aussi compte que cette « Nedjma », celle de Kateb, était aussi dans mon cœur et mon âme. Elle hantait les méandres de ma vie comme si elle avait traversé les années pour surgir dans mon présent qu’elle contribuait à embellir de sa lumière. Elle avait l’allure féline de la « Kahina », la finesse de « TinHinen » la voix envoutante de Taos Amrouche ou de Houria Aïchi.

Elle était libre comme le vent, belle comme les étoiles scintillantes de ce ciel qui protège ma vie. Belle et rebelle. Je l’ai aimé et de cet Amour elle ne mourra jamais. Elle survivra ! Car elle est éternelle !
   
En hommage à mon amie éternelle, « Loundja»

Elias Loundja, Alger au Mois d’octobre 2012



Notes
[1] Qui n’est autre aujourd’hui que le grand chanteur Gnawa célèbre en France
[2] Le roman a été écrit durant les années de braise (1956)